Le chien et son territoire

Sommaire

le chien et son territoire Mikkel Bigandt / 123 RF

Contrairement à ce que l'on peut penser, le chien et son territoire n'ont pas un rapport si évident que cela. C'est davantage avec le marquage que le chien va, non pas défendre son territoire, mais communiquer. Par ailleurs, en tant qu'animal éminemment domestique, il va plutôt chercher la sécurité et défendre les ressources de son environnement.

Définition du territoire chez l'animal

Un territoire se définit par une portion géographique ou un lieu (arbre, par exemple) délimité et défendu contre toute intrusion (congénères, concurrents, prédateurs) :

  • C'est principalement un lieu de reproduction, de naissance, d'éducation des jeunes et de repos.
  • Il peut également être un territoire de chasse, mais ce n'est pas obligatoire.
  • Certaines espèces territoriales ont leur territoire, mais effectuent des « raids » pour chasser, se nourrir ou s'approvisionner (comme chez les fourmis et certains primates).

Le lion est un animal emblématique de la territorialité, mais il est en fait assez particulier :

  • Le mâle passe beaucoup de temps à délimiter son territoire (marquage) et en surveiller les frontières.
  • Quand il y a des proies qui passent dessus, il peut s'alimenter, sinon il va devoir attendre qu'elles reviennent.
  • Alors qu'aucun congénère étranger ne sera admis à y pénétrer, plusieurs espèces territoriales vont pouvoir y cohabiter (hyène, guépard, etc.) à condition de bien garder ses distances.

La hyène, par contre, voit d'un très bon œil le lion ou le guépard sur son territoire. D'abord parce que ces derniers peuvent être des proies (malades, blessés ou petits) ou que la hyène peut leur disputer leur chasse (souvent avec succès). Le territoire n'est donc pas un espace infranchissable strictement limité à une espèce. C'est un espace d'interaction et d'équilibre, de concurrence et d'opportunisme, de survie : le lion n'empêche pas des gnous ou des buffles de pénétrer dans son territoire, eux-mêmes n'en comprennant pas les signaux.

En ce sens, les 3 caractéristiques majeures d'un territoire sont :

  • la reproduction (gestation, mise bas et éducation incluant la défense de la progéniture) qui rend vraiment réelle la notion de territoire ;
  • le repos (sécurité) ;
  • l'alimentation (souvent).

Enfin, contrairement au lion ou à la hyène, le loup n'est pas un animal territorial :

  • Il se déplace en fonction des proies disponibles et va même les suivre dans leur migration.
  • Cela lui serait d'ailleurs impossible de défendre un territoire aussi vaste que celui qu'il parcourt, car les meutes sont en moyenne composées d'une douzaine d'individus, dont des jeunes inexpérimentés.
  • Le loup est donc un nomade.

Le marquage

Le marquage est-il un signe distinctif de la territorialité ? Il en fait partie, mais n'en est nullement la représentation type. Il a beaucoup d'autres fonctions, au moins aussi importantes.

Urine

L'urine est avant tout un moyen de communication pour le chien :

  • Elle permet de baliser son chemin et de l'indiquer aux autres, le cas échéant.
  • Sa présence rassure : des odeurs connues vont faire tendre à se sentir en sécurité et être plus calme.
  • L'urine d'un loup inquiet peut aussi contenir des phéromones de « peur » dont le loup Alpha, par exemple, en les recouvrant de sa propre urine, évitera la propagation pour contribuer à l'apaisement et au calme du groupe.
  • Enfin, elle va également servir à se situer dans l'espace et le temps : sommes-nous déjà passés par là ? Quand ? Y étions-nous en sécurité ?

Bien sûr, l'urine comporte de nombreuses substances chimiques qui vont donner des informations sur le sujet qui urine, telle une véritable « carte Vitale » mise à jour en temps réel :

  • sexe ;
  • âge ;
  • état de santé ;
  • état émotionnel, etc.

Bon à savoir : si un chien vient immédiatement uriner sur notre propre urine, il ne s'agit pas d'un signe de dominance, mais de mélange, d'association, un peu comme le « pacte du sang » ; même chose quand il couvre l'urine d'un autre chien, ou l'inverse, qui est alors une façon de créer des liens.

Excréments

Les excréments peuvent être des marqueurs, sans en comprendre toutefois les stratégies ou signaux propres. D'une manière générale, les animaux territoriaux font tout pour indiquer leur présence, alors que les nomades font pratiquement tout le contraire. Ceci concerne les prédateurs, car un troupeau de gnous, par exemple, ne se préoccupe pas de ce qu'il laisse derrière lui. On peut dès lors constater que :

  • Le loup fait tout pour dissimuler ses déjections (buissons) et même en produire le moins possible (10 % seulement de la masse ingérée). Ses excréments sont très rapidement biodégradés, pour éviter de se faire repérer.
  • Cela peut paraître étrange, alors qu'il urine un peu partout autour de son campement. Cela signifie seulement que l'odeur plus forte des excréments est de nature à se propager beaucoup plus et plus loin que celle de l'urine.

Glandes odoriférantes

Certains animaux disposent de glandes spécifiquement dédiées au marquage. Ainsi, le lion gratte la terre avec ses pattes pour déposer une substance contenue dans des glandes situées dans ses coussinets.

Le chien est-il un animal territorial ?

Il n'est pas possible qu'un chien soit un animal territorial. Son origine et des milliers d'années de vie aux côtés des chasseurs-cueilleurs (nomades) en excluent même une possibilité originelle. Même la sédentarisation de l'homme au néolithique (- 9 000 ans) ne pourrait expliquer une éventuelle évolution. Si c'était le cas :

  • Un chien ne pourrait pas déménager d'un domicile à un autre sans de graves difficultés.
  • Sa promenade même serait des plus difficile tant il essaierait de marquer et défendre chaque portion de territoire « conquis ».
  • Aucun congénère ne serait croisé sans être au minimum menacé si ce n'est agressé.
  • De plus, ce « territoire » n'est ni un lieu de reproduction ni de chasse (chien domestique).
  • Enfin, il faut constater que ce qu'il fait dans son jardin ou sa maison, il le fait dans tout autre jardin ou maison où il nous accompagne.

Cependant, même un camp d'individus nomades est délimité et sécurisé. Entourer le « campement » temporaire de la meute (par l'urine) va donc être propice à en délimiter et localiser l'endroit, le sécuriser (calme), le défendre (défense des ressources).

Défense des ressources

Ce que l'on nomme « ressources » est un ensemble de besoins vitaux : sécurité, repos, alimentation, intégrité :

  • Le simple panier d'un chien est une ressource dans le sens où il est, ou devrait être, un lieu absolu de sécurité.
  • L'approche d'un étranger, congénère ou autre, est de nature à inquiéter le chien et il le lui manifestera de façon virulente.
  • La présence de jeunes enfants ou de chiots peut également susciter le même type de réaction, car la protection des jeunes est une priorité animale. L'instinct maternel peut également entrer en jeu. Un mâle peut être bien plus redoutable sur ce point.
  • Enfin, le lieu où le chien mange est un espace à défendre, voire la main qui le nourrit, le frigo, le placard à croquettes.

Ces réflexes de défense des ressources ne sont pas spécifiques à son environnement familial (lieu de vie) ; ils y sont justes parfois plus manifestes. En effet, partout où le chien va, il se construit des représentations mentales de sa sécurité aussi appelée proxémie. Mise en évidence par Edward T.Hall, dans La Dimension cachée, elle substitue à la notion de territoire proprement dite celle d'un espace nécessaire à l'équilibre.

Le chien et son territoire : la proxémie

La proxémie est une approche de l'espace caractérisée par la distance physique qui s'établit entre des êtres en interaction. Elle peut dépendre de facteurs culturels, sociaux, éducatifs, expérimentaux (morsure ou griffure), mais aussi innés (chiens et chats en tant que prédateurs concurrents).

Les 4 sphères

La proxémie induit 4 zones ou sphères :

  • Sphère publique : c'est la sphère dans laquelle le chien peut appréhender son environnement, les êtres et les choses qui la composent. Par la vue, l’ouïe et l'odorat, il peut se représenter les dangers potentiels qui l'attendent, dans un large périmètre. C'est dans cette sphère que les aboiements d'un chien lointain peuvent provoquer ceux du nôtre alors que rien ne le menace directement.
  • Sphère sociale ou d'évitement : c'est la sphère dans laquelle le chien permet ou non d'entrer afin d'établir des contacts sociaux :
    • Elle est aussi désignée par l'expression « distance critique », car la franchir sans « autorisation » équivaut à une agression.
    • Au sein de cette sphère, les chiens établissent des contacts, se « hiérarchisent », communiquent.
    • L'apaisement sera un geste clé pour y entrer, nullement en rapport avec une quelconque domination ou soumission.
  • Sphère personnelle : cette sphère contient les êtres connus ou acceptés :
    • Les contacts sont simplifiés.
    • Les relations sont codifiées et « comprises ».
    • La proximité est admise et recherchée.
    • Il s'agit de la zone d'interaction par excellence.
  • Sphère intime : la sphère intime constitue le dernier rempart de protection de l'intégrité du chien. On pourrait la matérialiser par le panier qui est sa zone de repos, là où il est le plus vulnérable (lieu du sommeil) :
    • Seuls les « intimes » y sont admis, ceux dont le chien sait qu'il n'a absolument rien à craindre, ou le devrait.
    • Elle représente aussi la zone physique la plus proche, celle des caresses ou des punitions, des bisous, des câlins.
    • Que cette sphère soit supposée en danger et les réactions risquent d'être très violentes ou de provoquer l'apparition de troubles du comportement.

Ces sphères dépendent de 3 facteurs

Ces sphères sont spécifiques à chaque chien ainsi qu'à l'environnement rencontré (chez lui, lieu inconnu, lieu peuplé, lieu clos ou exigu, etc.). Elles dépendent toutefois de 3 facteurs majeurs :

  • La socialisation aux congénères : commençant dès sa quatrième semaine de vie, elle est conditionnée par la fréquence et la diversité des contacts « libres » que le chien aura pu avoir avec des congénères jusqu'au stade adulte (caractère sociable du chien) :
    • Cette socialisation, réussie ou non, sera un facteur décisif de sa relation aux autres chiens et des signaux qu'il émettra en leur présence.
    • Un manque de socialisation sera également un déclencheur de rapports conflictuels de la part d'autres chiens envers le nôtre (éthologie canine).
  • La relation de l'homme à l'environnement : il peut exister plusieurs éléments intégrés par le chien pour essayer de se situer vis-à-vis de son environnement :
    • craindre la réaction de son chien ;
    • être inquiet de la proximité d'une personne ou d'un autre chien ;
    • être mal à l'aise ou contrarié de la présence d'autres ;
    • nos propres réactions en général, c’est-à-dire notre proxémie, nos sphères ;
    • nos relations avec nos proches et des inconnus (circonstanciées, raides ou fluides, spontanées ou subites, tactiles ou distantes, joyeuses ou gênées, etc.) ;
    • la richesse ou non de nos relations sociales et familiales ;
    • la diversité de nos sorties avec le chien et la diversité des environnements rencontrés, dont la marche en laisse en est la synthèse et la démonstration parfaites.
  • La relation de l'homme au chien : des facteurs culturels et sociologiques vont avoir des répercussions importantes sur la perception par le chien de son environnement. Nos attentes, nos attitudes associées, notre relation induite par ces attentes et attitudes vont être autant de critères impactant ses réactions face à une situation donnée, la délimitation de ses sphères, leur degré de protection.

Les sens multiples du marquage du chien

Ce que l'on peut dire du marquage du chien est tout sauf territorial. C'est avant tout un moyen de communication complexe, mais très efficace :

  • Il est très possible que son urine aux abords de son lieu de vie sera plus à même, chimiquement, de dissuader d'une approche.
  • Lors de sa promenade, l'urine pourra prendre d'autres significations et compositions : baliser la route, se repérer, couvrir des odeurs inquiétantes, donner des informations, en demander.

On sait que le système rénal du chien est très particulier, conçu pour stocker l'urine en vue de ce marquage (et expliquant sa manière de se nourrir). Mais le sens précis du marquage et sa composition nous sont encore inconnus, et analysables uniquement en l'état via d'autres animaux aux sens largement plus développés que les nôtres. Le fait même d'uriner a un sens, pour lui comme pour d'autres chiens.

Par conséquent, la territorialité supposée du chien est souvent associée aux notions de meute et de tentative de dominance du chien sur l'homme. Il n'y en a pourtant aucun fondement ni réalité. Même le marquage ne peut en être un critère. Dans le rapport du chien avec son environnement, l'approche proxémique est sans doute la meilleure façon de l'y intégrer. Aucun club canin ni de dressage ne pourra jamais faire atteindre au chien un degré de socialisation aussi important et naturel qu'avec la proxémie : richesse et diversités des contacts, des environnements, fiabilité de la relation, proximité et complicité, sécurité et respect de l'intégrité. Là, il est vraiment possible de parler d'éducation.

Ces pros peuvent vous aider

Liens rapides

Tout le guide pratique chien

Tout le guide pratique