L'apprentissage du chien est possible sans leurre, rapport de force, accessoires ou répétitions abrutissantes. En effet, le chien a une capacité d'éducation très développée, du fait notamment de sa domesticité. La seule question qui doit se poser est : comment s'y prendre ?
Fonctionnement de l'apprentissage chez le chien
On dit qu'il y a apprentissage lorsqu'un individu, placé plusieurs fois dans la même situation, modifie ou adapte sa conduite de façon systématique et relativement durable. Le Larousse complète : « Ensemble des processus de mémorisation mis en œuvre par l'animal ou l'homme pour élaborer ou modifier les schèmes comportementaux spécifiques sous l'influence de son environnement et de son expérience. » L'apprentissage met donc en œuvre la mémoire, l'expérience et l'environnement.
La mémoire chez le chien
Chez l'homme, la mémoire est évocative (suggestive) alors que chez le chien elle est associative. Prenons un exemple :
- Si un homme voit un bâton sur le bord d'un chemin, il pensera peut-être que cela peut devenir une arme, une aide à la marche, la structure d'une cabane, etc.
- Pour le chien, ce ne sera qu'un bâton qu'il pourra avoir envie de mâchonner ou traîner (prédation, jeu), mais ce sera tout.
- Ramassons ce bâton et frappons-le avec : tous les bâtons ne deviendront pas pour lui une source de danger, mais l'association homme + bâton, oui. Ce sera la même chose avec une casquette servant à le frapper : homme + casquette = danger.
On retrouve cela aussi chez le vétérinaire dans le cas de soins « douloureux » : blouse blanche = douleur.
Apprentissage intraspécifique
L'apprentissage intraspécifique a lieu entre les membres d'une même espèce :
- C'est à partir de la troisième semaine que le chiot va partir à la découverte de son environnement (comportements exploratoires) :
- La richesse et la diversité de ce qui l'entoure seront déterminantes pour l'acquisition d'expériences (sons, bruits, odeurs, enfants, autres espèces, autres chiens, etc.).
- Ce sera toutefois la chienne qui, dans un premier temps, lui transmettra sa propre perception de cet environnement.
- À partir de la quatrième semaine commence la phase de socialisation qui va durer jusqu'à l'âge adulte :
- La présence d'autres chiens, tout du long, sera un gage de socialisation qui se manifestera par l'adoption des rituels (communication), l'évitement des conflits et l'inhibition à la morsure.
- Il n'existe pas de meilleur apprentissage qu'entre chiens.
Apprentissage interspécifique
Nous parlons ici de l'apprentissage entre des membres d'espèces différentes, notamment avec l'homme. Sa forme et son contenu ne peuvent pas être généralisés tant nos attentes sont différentes sinon divergentes dans la relation que nous entretenons avec le chien. Pourtant, en liaison directe avec ces attentes, l'apprentissage interspécifique va généralement prendre la forme d'une acquisition de savoir-faire matérialisée par le conditionnement.
Conditionnement
Qu'il soit d'ordre coercitif, répondant (Pavlov) ou opérant (Skinner), le conditionnement obéi à des lois dites lois de l'apprentissage que nous pouvons rappeler ici :
- loi de contiguïté temporelle ;
- loi de la répétition ;
- loi d'extinction ;
- loi de généralisation ;
- loi de discrimination ;
- loi de l'effet (habituation) ;
- réponse d'échappement ;
- état de détresse acquise.
Ce qui nous amène à cette question : le conditionnement peut-il être considéré comme un apprentissage ?
- « L'apprentissage consiste à construire ou à modifier la représentation qu'un organisme a de son environnement » (Doré F, Mercier P. - Les Fondements de l'apprentissage et de la cognition). Dans ce sens, le conditionnement est effectivement un apprentissage. Il ne fait aucun doute qu'il aura une influence majeure sur la perception de l'environnement. Il est même indispensable en matière de chien considéré comme « utilitaire ».
- Toutefois, dans le cadre du chien de compagnie, de par les lois qui le régissent, le conditionnement ne donne aucune garantie de fiabilité ni de durabilité (répétition, extinction). Ce qui va distinguer un apprentissage réussi d'un autre sera uniquement son acquisition : est-ce long, laborieux ou rapide ?
La forme même d'un apprentissage réussi peut se résumer ainsi : Expérience → production ou modification du comportement → stockage en mémoire → réutilisation si bénéfice. Il n'y a donc plus à expérimenter (répétition) car c'est devenu un acquis. Dans ce cas, 1 ou 2 expériences suffisent au chien. Il est donc tout à fait possible d'obtenir des comportements fiables et durables sans passer par d'innombrables séances de conditionnement, simplement en utilisant les capacités naturelles du chien dont la principale est la communication.
Apprentissage du chien : la communication
En tant qu'animal social, le chien est en perpétuelle interaction et communication avec son environnement et les êtres qui le composent. Mais par quels différents moyens communique-t-il avec nous et lui avec nous ?
Communication olfactive
C'est hélas un mode que nous ne pouvons ni comprendre ni utiliser tant nos capacités olfactives sont faibles comparé à celles du chien. On peut cependant retenir que :
- Certaines odeurs peuvent modifier ses comportements (phéromones de peur, chaleurs, etc.).
- Certaines de nos propres odeurs peuvent également l'influencer, tandis que lui en essaime partout (urine).
- Notons que les chiens entre eux se reniflent souvent sous toutes les coutures et tendent même à venir nous sentir là où c'est souvent gênant.
Bon à savoir : certains colliers libèrent des phéromones apaisantes, ce qui crée un leurre, pour le chien comme pour nous, car ils tendent à fausser sa compréhension des situations et aboutissent souvent, tout autant que les colliers électriques, à un état de détresse acquise qui est un trouble grave du comportement.
Communication tactile
Qui dit espèce sociale dit proximité physique importante. Nous lécher, se coucher sur nos pieds ou contre nous, nous pousser du nez, nous griffer avec la patte, nous tirer par la manche... sont autant de formes de communication tactile de la part de notre chien. Les comportements ludiques qu'il sollicite, même s'ils sont parfois virils, en font également partie.
À noter : un chien qui nous lèche après nous avoir fait mal ne s'excuse pas ; c'est un signe d'apaisement, de communication, qui nous dit « c'est fini, il n'y a plus de conflit » et il est alors important de lui envoyer nous-même un signal d'apaisement en retour.
La communication tactile, notamment par la production de comportements ludiques, à condition d'en respecter les règles (éthologie canine), est probablement la plus puissante, rapide, fiable et pérenne qui soit. Elle permet au chien d'essayer des comportements et à nous de lui faire comprendre les plus adaptés. On a alors le schéma suivant : expérience → production ou modification du comportement → stockage en mémoire → réutilisation si bénéfice.
Communication gestuelle
La communication gestuelle est un mode de communication majeur entre chiens (postures, mimiques, gestiques) :
- Elle est très souvent la manifestation d'un état émotionnel (queue qui remue, menace, posture des oreilles, de la tête, etc.).
- Le chien l'utilise aussi beaucoup avec nous, mais il existe tant de subtilité de sa part dans ce mode que nous n'en comprenons souvent qu'un aspect global.
- Par contre, le chien est capable de comprendre le moindre de nos gestes, la moindre mimique faciale (peur, colère, joie, etc.) et lui donner sens. Il est alors possible de diriger un chien sans aucune parole, juste par le geste et l'expression du visage, plus rapidement et plus facilement qu'avec n'importe quel mot.
Ainsi, accompagner chaque mot d'un geste ou d'un signe, voire préférer geste ou signe, sera beaucoup plus facilement compréhensible et rapidement assimilé par le chien.
Communication digitale
Aussi nommée communication verbale, la communication digitale est celle que nous utilisons entre humains : le langage articulé. Elle comprend le texte, les mots, les phrases, la sémantique, le contenu, l’énoncé et la langue, soit tout ce qui véhicule du sens :
- C'est ce mode que l'on essaie d'enseigner au chien à longueur de séances avec les injonctions suivantes : « assis », « debout », « couché », « tapis », « au pied », « viens », etc.
- Or, il s'agit du seul mode de communication qui est inaccessible au chien. Il exige dès lors un très long apprentissage qui ne peut effectivement se concevoir qu'en terme de conditionnement (association mot-attitude) et son efficacité est des plus relatives.
Communication analogique
Nous trouvons 2 types de communication analogique :
- La communication non verbale qui comprend les postures de l'espèce, les gestes, le regard et les micro-signaux :
- Dire quelque chose en regardant quelqu'un et en fronçant les sourcils est différent qu'en souriant, la tête légèrement penchée sur le côté.
- Croiser les bras en parlant ou gesticuler à « l'italienne » donnera un tout autre relief à notre propos.
- La communication paraverbale constitue ce qui accompagne le verbal, ce qui est relatif à la voix :
- Cela comprend la prosodie (inflexion du ton, modulation), le timbre, le rythme, le débit, le volume sonore.
- C'est ce que produit le chien avec une palette de sons qui va du gémissement au hurlement en passant par de multiples variantes. Là encore nous sommes très loin d'en comprendre les subtilités.
Face à ce type de communication, le chien va agir de la manière suivante :
- Il va d'abord tenter de comprendre le non-verbal, proche de la communication gestuelle dans laquelle il est passé maître.
- Puis, il va essayer de classifier les sons en fonction de leur sonorité (conflictuelle, bienveillante, apaisante, joyeuse, etc.).
- Enfin, il essaiera d'y associer un « sens » (que dois-je faire ?).
Pour le chien comme pour l'humain, la communication procède toujours d'un double déchiffrement : le contenu (émotion et intention) et la relation. Comme nous comptons principalement sur les mots et leur sens pour communiquer avec lui, nous sommes très souvent, l'un comme l'autre, en situation d'échec. Alors que le non-verbal et le paraverbal sont la véritable source de signaux fiables, forts et facilement compréhensibles pour lui.
Bon à savoir : lorsque les signaux non verbaux (production sonore) et paraverbaux sont congruents (l'un conforte l'autre), il y a renforcement de la communication ; s'ils sont discordants, il y a échec et le chien va privilégier le non-verbal (signaux physiques).
Troubles de la communication
On peut sans exagérer affirmer que la très grande majorité des troubles comportementaux, hors troubles biologiques ou pathologiques, entre l'humain et le chien sont des troubles de la communication :
- d'une part, par des modes inadaptés (communication digitale, discordance) ;
- d'autre part par l'incompréhension de modes spécifiques du chien.
On peut ajouter que le conditionnement, de par ses lois, ne fait qu'amplifier le phénomène alors qu'il existe, chez le chien, une capacité hors norme de pouvoir nous comprendre.
À noter : de plus en plus d'éducateurs se détournent de l'éducation conditionnante et ses principes archaïques (hiérarchie, domination, meute, territoire, agressivité, intentionnalité, etc.) pour se tourner vers l'éducation communicante ; les résultats sont assez spectaculaires, tant pour le chien que ses propriétaires, en peu de séances décontractées, joviales et riches d'enseignements.
Apprentissage du chien : ordre vs information
Si la communication digitale (verbale) met tant de temps à s'installer, sans garantie de durabilité, la production sonore naturelle a, elle, un grand intérêt. La différence se situe entre l'ordre et l'information :
- Donner un ordre, c'est exiger du chien le comportement lié (mot-attitude). Il faut souvent le répéter, voire hausser le ton.
- Donner une information signifie au contraire indiquer au chien ce que, nous, nous allons faire : « droite » = je vais à droite ; « gauche » = je vais à gauche, « stop » = je m'arrête.
En fonctionnant sur un mode informatif, le chien va immanquablement adopter nos infos comme une consigne. L'intéressant, c'est que de cette manière ce n'est pas le mot qui est important mais le ton « naturel » avec lequel nous allons le prononcer, qui sera toujours en adéquation avec notre non-verbal. Nous n'exigeons rien, nous informons. Il n'y a alors jamais besoin de répéter ou hausser le ton : le chien suit ou ne suit pas, mais très vite il va faire plus que suivre, il va aussi attendre, voire solliciter l'information. La marche en laisse vous en donne un aperçu.
Apprentissage du chien : attitudes face à ses comportements
Punition négative et positive
Le terme même de punition renvoie à une forme de domination, de rapport de force, de conflit. Or, toute forme conflictuelle est un échec de la communication. Penser simplement punition est de nature à fausser toute forme de communication fiable. En effet, le chien est génétiquement programmé pour être un pacifiste avec l'homme (notion de « double empreinte ») et toute punition ne pourra, négative comme positive, que limiter considérablement sa relation avec nous ainsi que sa compréhension. Notamment, les punitions peuvent provoquer 4 phénomènes :
- La rancœur : le chien va estimer que l'humain n'est pas fiable, brutal et va tendre dès lors à s'en méfier (désobéissance).
- L'anticipation : dans un conflit à venir, le chien va tendre à anticiper la punition et s'y soustraire (fuite, agression préventive, urine, etc.).
- La rébellion : le chien peut s'instrumentaliser (auto-instrumentalisation) et se rebiffer violemment sans prévenir.
- Le retrait : le chien peut élaborer une stratégie du « pas vu, pas pris », c’est-à-dire reproduire le comportement dès que le maître a le dos tourné ; voire ne plus savoir quoi faire (état de détresse acquise).
Bénéfice, récompense et friandises
Tout comportement animal requiert un bénéfice, de son avis à lui. Le plus important est qu'il comprenne qu'un comportement plutôt qu'un autre le lui fait obtenir. Par exemple :
- Plutôt que menacer toute approche dans le jardin (comportement naturel), aller sur son tapis provoquera également l'éloignement de l'étranger.
- Il est aussi possible de le rassurer calmement afin qu'il comprenne que la personne va s'éloigner d'elle-même, sans qu'il ait besoin de la menacer.
- Le bénéfice est dès lors d'ordre comportemental, lié à la production du comportement lui-même (que fait-il et à quoi ça lui sert ?).
Quant à la friandise, elle restera toujours un leurre, à n'utiliser que très brièvement pour attirer l'attention du chien, mais pas pour fixer le comportement. Instaurer une relation sociale (confiance, complicité, communication) ne peut pas se concevoir avec des leurres. Bénéfice et récompense sont donc 2 notions très éloignées :
- La première tend à s'approcher le plus possible du gain en liaison directe avec le but du comportement.
- La deuxième tend à s'approcher d'un gain artificiel.
Bon à savoir : on peut féliciter un chien d'avoir un comportement, mais jamais de ne pas avoir un comportement ; féliciter ou récompenser un chien de ne pas aboyer est incompréhensible pour lui.
Le renforcement
Le renforcement est le corollaire du bénéfice. En renforçant régulièrement le comportement adapté (félicitations), celui-ci aura beaucoup plus de chance d'être adopté par le chien, même en notre absence, d'autant plus que le comportement renforcé fait obtenir le bénéfice attendu par la situation. Quant à ignorer un comportement inadapté, ce choix est très aléatoire. Mieux vaut signifier notre désapprobation (non verbal, paraverbal) et solliciter un autre comportement (ludique) que l'on renforcera.
Les rituels
Les rituels sont par définition les codes sociaux qui régissent les relations entre les êtres, chiens entre chiens et chien avec l'homme :
- Ritualiser certaines relations ou situations sera alors une source de fiabilité, de sécurité, de communication lisible et compréhensible.
- Les rituels permettent ensuite d'étendre la relation à d'autres situations par la confiance et la complicité qu'ils induisent.
À noter : le chien est très ritualisé par essence (animal social) et donc très demandeur de rituels ; l'apaisement en est un, indispensable d'adopter, qui est toujours à double sens, l'un apaise, l'autre répond par un autre signe d'apaisement.
Rééducation comportementale
Peut-on rééduquer un chien ? En théorie non et mieux vaut ne pas envisager la chose sous cette forme. Un animal ne se rééduque pas, il s'adapte (ontogénèse). Il est soumis aux principes de la théorie de l'évolution (principe de l'adaptation). Il est donc en perpétuel apprentissage. C'est une simple adaptation des modes d'apprentissage qu'il faut envisager, c'est-à-dire notre propre relation à lui (communication), pas la sienne à nous (rééducation).
Apprentissage du chien : la notion d'intelligence
L'intelligence chez le chien a été « mesurée » par un psychologue canadien, Stanley Coren, se contentant d'envoyer un questionnaire à de nombreux dresseurs. Il a ainsi établi une liste des 200 races de chien les plus intelligentes. Cette étude est intéressante, sauf qu'elle reste très partielle : il y a 1 tout petit million de chiens de race sur plus de 6 millions de chiens en France (près de 400 races recensées). Qu'en est-il des autres chiens ? Sont-ils considérés comme stupides ? C'est toute la définition de l'intelligence qu'il faut revoir, car il n'y a rien de plus intelligent qu'un chien dans sa faculté à pouvoir vivre avec nous. Aucune race ou non race ne peut en obtenir la palme ou le monopole.
Cela fait près de 30 ans que de très grands professionnels et chercheurs démontrent que le conditionnement n'est qu'un accessoire (éventuel) de la relation, pas un préambule ni un « pansement » (Ian Dunbar, Jean Lessard, Michel Chanton, Jean Piaget, Hubert Montagner, etc.) :
- Passer d'une éducation conditionnante à une éducation communicante risque de nécessiter l'aide d'un comportementaliste canin, surtout pour comprendre le chien, ses modes d'apprentissage, moins pour agir directement sur lui.
- Quelques trucs et astuces de la part de ce professionnel faciliteront souvent la communication qui devra être fluide de notre côté, avec nos mots, gestes et attitudes naturels, pas ceux qu'il nous faudra apprendre (ordre, autorité, ton, etc.).
Comme le dit Jacques Vauclair dans L’Intelligence de l'animal, c'est l'essence même du chien, en tant qu'espèce, qui en fait l'intelligence « qui dépend bien plus de “l'intelligence” que nous avons de lui ».